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Les poussins mâles, victimes de l’engouement pour les poules urbaines

Chaque année, à la fonte des neiges, l’intérêt grandissant des Québécois pour l’agriculture urbaine se manifeste, et la pandémie n’a fait qu’accentuer cet engouement qu’on observe depuis une dizaine d’années. De nombreuses municipalités ont récemment cédé à la pression de leurs citoyens en adaptant leur réglementation pour permettre la garde de poules. 

Toutes les raisons semblent bonnes pour troquer les œufs d’épicerie contre ceux pondus dans sa cour par des poules dont on prend le plus grand soin. Pourtant, on oublie souvent que pour chaque poule pondeuse, un poussin mâle d’à peine quelques heures a dû être tué. Et le sort de ceux qui survivent est des plus incertains. 

Ce sont cinq millions de poussins mâles qui sont tués annuellement au Québec. Contrairement aux femelles, les mâles ne pondront jamais; ils sont donc considérés comme inutiles par l’industrie des œufs. Pour des raisons de profitabilité et d’efficacité, on les abat peu après leur naissance. C’est le sort qui attend les petits frères des poules pondeuses destinées à l’élevage industriel, mais aussi de celles qui prendront le chemin des poulaillers artisanaux. 

On parle de millions de poussins qui, à peine nés, sont brutalement éliminés. S’il s’agissait de chiots ou de chatons, on ferait tout pour stopper un tel carnage. Dans le cas des poussins, la pratique est considérée comme un mal nécessaire. Des solutions de rechange existent pourtant. En effet, il est désormais possible de déterminer le sexe de l’oiseau à naître par ovosexage – c’est-à-dire pendant la période d’incubation de l’œuf – et d’éviter ainsi l’éclosion des poussins mâles destinés à une mort brutale. Dans plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, des discussions ont lieu, tant sur le plan législatif qu’au sein de l’industrie des œufs, pour que l’ovosexage soit mis en place. 

À l’heure actuelle au Québec, le sexage des poussins se fait toujours à la main et à grande vitesse. Or, comme il ne s’agit pas d’une science exacte, plusieurs mâles, mal identifiés, survivent à l’exercice. C’est ainsi que, année après année, des dizaines de personnes contactent la SPCA de Montréal lorsqu’elles réalisent que leur poule est en fait un coq. Dans la plupart des cas, les gens veulent se débarrasser d’un oiseau qui réveille les voisins avant le lever du soleil, mais même ceux qui voudraient conserver leur coq ne peuvent le faire, puisque la plupart des municipalités en interdisent la garde.  

La SPCA de Montréal tente, tant bien que mal, de trouver des sanctuaires prêts à accueillir ces oiseaux, mais chaque cas est un véritable casse-tête. Aux États-Unis, où le phénomène des poulaillers urbains a encore plus d’ampleur qu’ici, de nombreux refuges ont été contraints de fermer leurs portes aux coqs.  

Pour éviter d’imposer ce fardeau additionnel aux refuges et cesser de contribuer à l’abattage de poussins mâles, il serait logique que les municipalités qui autorisent les poulaillers urbains prennent leurs responsabilités en autorisant aussi la garde des coqs dans leurs règlements. 

Si on ajoute au carnage des poussins mâles l’émergence potentielle des zoonoses, comme la salmonellose et la campylobactériose, et l’incidence plus élevée de maladies contagieuses observée en production urbaine, où la vaccination est souvent déficiente, on réalise que l’adoption d’une poule est beaucoup moins bucolique qu’on peut le penser à première vue. On peut aussi se demander ce qu’il advient de ces poules pondeuses lorsque leur productivité diminue ou lorsqu’elles tombent malades. Les familles qui adoptent des poules sont-elles prêtes à prendre soin de leurs pensionnaires vieillissantes ou malades ?  

Ces nombreux enjeux de santé publique et de bien-être animal devraient faire partie des réflexions des municipalités qui autorisent leurs citoyens à garder des poules. 

Entretemps, les innovations récentes, comme la viande cellulaire et les imitations de viande à base de plantes, retirent l’animal de l’équation tout en nous permettant de continuer à manger des aliments que nous connaissons et aimons. Avec un peu de chance, peut-être verrons-nous émerger au cours des prochaines années une tendance plus durable, plus sécuritaire et plus juste, qui écarterait le recours aux poules pour obtenir des œufs? 

Élise Desaulniers 
Directrice générale de la SPCA de Montréal 

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